lundi 27 février 2017

Anecdote 1 (27/02/17)

(mis à jour le 28 février 2017)

La Pars Occidentalis de l'Empire romain[1] ne disparut pas formellement en 476 mais plutôt en 480. En effet, lorsque l'empereur Romulus Augustule monta sur le trône en 475 suite à l'usurpation de son père, Flavius Oreste, l'empereur d'Occident légitime Julius Nepos se réfugia à Salone, en Dalmatie[2]. Là, il continua formellement à régner sur l'ensemble de la Pars Occidentalis, avec le soutien de l'empereur d'Orient Zénon. C'est dans ce cadre que, en 476, le roi des Hérules Odoacre dut reconnaître l'autorité de Julius Nepos lorsque Zénon lui octroya le titre de « patrice d'Italie »[3] pour s'être emparé de Ravenne, résidence impériale[4] des empereurs d'Occident, et avoir destitué l'empereur-usurpateur Romulus Augustule.

Néanmoins, ne reconnaissant pas la « suzeraineté » d'un souverain barbare, un général romain jouissant alors d'une légitimité supérieure en Gaule, Syagrius[5], exprima sa révolte. Pour résoudre cette rivalité dans la quête pour la légitimité de gouverner sur la partie occidentale de l'Empire romain, tous deux envoyèrent des délégations à Zénon afin d'obtenir sa reconnaissance. Ce fut finalement le roi des Hérules qui fut confirmé, consommant la rupture définitive entre le Domaine gallo-romain et l'Italie d'Odoacre.

Syagrius ayant conservé ses liens avec Julius Nepos, la situation s'exacerba lorsque le dernier empereur d'Occident légitime fut assassiné en 480. En effet, l'unité du pouvoir impérial étant restaurée entre les mains de Zénon, Odoacre devenait de facto l'unique représentant de l'autorité impériale en Occident en vertu de son titre de patrice d'Italie, ce qui raviva les rivalités avec Syagrius, désormais semi-indépendant et soutenu par le roi des Wisigoths Euric, lui-même désireux d'accroître son propre pouvoir en Occident.

Enfin, la mort d'Euric en 484 laissa un profond vide politique en Gaule. Déjà isolé hors de Gaule par la mort de Julius Nepos en 480, Syagrius perdit alors le dernier soutien diplomatique de la légitimité de son pouvoir en Gaule. La situation était désormais propice à une actions des Francs, nominalement fédérés à Rome, donc à Odoacre. Ainsi, la question ne fut définitivement réglée qu'en 486 lorsque Syagrius fut écrasé à la bataille de Soissons par le roi des Francs Clovis, soutenu par Odoacre et Zénon au nom de l'unité romaine, alors plus que pure théorie au nom du prestige et de la légitimité.

[1] La Pars Occidentalis de l'Empire romain est le nom exact de l'Empire romain d'Occident. 
[2] La Dalmatie est la région côtière de l'actuelle Croatie.
[3] Le titre de « patrice d'Italie » correspond de facto à un statut de « vice-roi d'Occident ».
[4] Une résidence impériale est la capitale de facto de l'empereur. 
[5] Syagrius gouvernait également un large domaine gallo-romain, centré sur Soissons, et fut probablement nommé « patrice des Gaules » par l'empereur d'Occident Anthémius.

samedi 24 septembre 2016

Antiquité romaine tardive - Une transition entre l'Antiquité et le Moyen-Âge (1° partie)


Partie 1 - Présentation
(republié le 12/12/2016)

Depuis le XVI° siècle, Moscou n’a cessé de se revendiquer comme étant la « Troisième Rome[1] ». Cette revendication est principalement due à la volonté de la Russie de se placer symboliquement à la tête du monde chrétien-orthodoxe après la chute de la « Nouvelle-Rome », Constantinople[2] [3], aux mains des Turcs ottomans en 1453. Le fait de se placer dans la lignée de la Cité de Constantin[4] laisse présager le prestige, l’influence et le rayonnement quelle ’eut non seulement sur le pourtour de la mer Méditerranée et de la mer Noire mais également en Europe orientale.

Ainsi, l’influence de Constantinople sur cette dernière se vérifie notamment à l’occasion du baptême du prince de la Rus' de Kiev Vladimir le Grand en 988 ou 989[5], qui le fit dans le but de renforcer son alliance avec l’empereur Basile II, qui avait rétabli l’autorité impériale sur les Balkans, l’Arménie, le Nord de la Syrie et l’Italie du Sud.

L'empire sous Basile II (Wikipedia).
Au X° siècle, Basile II régnait sur un empire qui était bien différent de ce que fut le glorieux Empire romain. Celui-ci avait progressivement subi différentes évolutions qui s’étalèrent sur presque cinq siècles, ce qui correspond à la période dite de l’« Antiquité tardive[6] ». Au terme de cette transition, l’Empire romain et les Romains se « byzantinisèrent » progressivement jusqu’à faire place à l’Empire romano-byzantin et aux Romées[7] au début du VIII° siècle[8].

Ainsi, l’Antiquité tardive fut donc la période de transition entre l’Antiquité et le Moyen-Âge durant laquelle se déroula un processus inconscient qui transforma progressivement et en profondeur les sociétés en présence aux travers d’évolutions dans les domaines internationaux, diplomatiques, militaires, politiques, administratifs, économiques, sociétales, sociales, culturelles, religieuses, etc. Commencée à la fin du III° siècle, l’Antiquité tardive en tant que période de transition ne s’acheva guère partout au même moment.

Concrètement, alors que l’Occident « barbare » était bien entré dans le Moyen-Âge durant le V° siècle, l’empire de Constantinople n’y entra qu’au début du VIII° siècle. Cette situation entraîna même la coexistence pendant près de trois siècles de l’Antiquité et du Moyen-Âge dans le pourtour méditerranéen.

Enfin, l’Antiquité tardive coïncida avec la seconde phase de l’Histoire romaine, celle du Bas-Empire. Également appelé Empire tardif[9], il débuta avec le début des réformes entreprises par l’empereur Dioclétien en 285 et laissa définitivement sa place à l’Empire romano-byzantin à l’occasion de l’éclatement de la première crise iconoclaste dans l’Orient chrétien en 723.

Dans ce contexte, l’Antiquité romaine tardive est caractérisée par la coexistence de plusieurs empereurs romains de 285 à 480, puis une distinction entre un Occident et un Orient romains de 364 à 480. Cette situation étant emblématique de la période du Bas-Empire, il est intéressant de remonter un peu dans le temps.

En 285, Dioclétien devint l’unique empereur légitime de la Romanie (autre nom désignant l'Orbis romanus[10], le « monde des Romains ») à la suite d’une énième guerre civile. Face à la croissance de l’instabilité intérieure et de l’insécurité aux frontières, il se rendit rapidement compte que l’Empire romain était devenu bien trop grand pour qu’un seul empereur puisse continuer à garantir efficacement la stabilité et la sécurité de la Romanie.

La Tétrarchie (Larousse).
Ainsi, dès 293, il décida d’établir un nouveau modèle de gouvernement, le « système tétrarchique »[11]. Ne parlant pas encore d’Occident ou d’Orient, la « Tétrarchie » (« gouvernement à quatre ») se basait sur le principe d’un gouvernement collégial au sein duquel deux « augustes » et deux « césars », qui les secondent, se répartirent les responsabilités sur une base territoriale en se reposant sur les délimitations des quatre préfectures romaines (Gaules, Italie, Illyrie et Orient)[12].

Après les réformes de Constantin, il fallut encore attendre la nomination de Valens en tant qu’empereur d’Orient par son frère Valentinien I°, qui restait en Occident, en 364 pour voir se former une Pars Occidentalis latinisée, comprenant les préfectures des Gaules et d'Italie, d’un côté, et une Pars Orientalis hellénisée, incluant les préfectures d'Illyrie et d'Orient, de l’autre côté. De cette manière, en 395, lorsque, sur son lit de mort, Théodose I° le Grand, dernier empereur à avoir régné de manière effective sur l'ensemble de la Romanie, partagea les responsabilités de l'Empire romain entre ses deux fils, la décision passa relativement inaperçue.

Enfin, si ce partage, comme les précédents, entraîna une réelle autonomie exécutive, législative, judiciaire, administrative, économique, religieuse et militaire des parties occidentale et orientale, la Romanie conservait son unité morale et politique. Ainsi, il est erroné de parler de la coexistence de deux Empires romains mais plutôt de la coexistence de deux entités autonomes au sein de la Romanie : la Pars Occidentalis et la Pars Orientalis, laquelle deviendra plus tard l’Empire romano-byzantin.

Cet article ayant réalisé les clarifications préalables aux prochains articles, il est donc intéressant de conserver en tête que l’instauration du Bas-Empire romain prend place dans un contexte particulier. Il s’inscrit dans la continuation d’évolutions bien antérieures, datant pour certaines de la fin du II° siècle. Lorsque Dioclétien débute ses réformes, en 285, il est non seulement un réformateur et un innovateur mais il est également le continuateur des évolutions l’ayant précédé[13]…


[1] « Troisième Rome », Encyclopædia Universalis, [en ligne], s.,d.,[http://www.universalis.fr/encyclopedie/troisieme-rome/], (consulté le 16/11/2016).
[2] WASSON Donald L., "Constantinople", Ancient History Encyclopedia, [online], 2013, [http://www.ancient.eu/Constantinople/], (consulté le 18/11/16).
[3] ZILBERMAN Jean-François, « Naissance de la future Constantinople », Hérodote, [en ligne], s.d., [https://www.herodote.net/11_mai_330-evenement-3300511.php], (consulté le 16/11/2016).
[4] En latin, Constantinopolis ; en grec, Konstaninoúpoli.
[5] « De Kiev à Moscou, naissance d'un peuple », Hérodote, [en ligne], s.d., [https://www.herodote.net/Russie-synthese-1875.php], (consulté le 16/11/2016).
[6] « Antiquité tardive », Encyclopædia Universalis, [en ligne], s.,d., [http://www.universalis.fr/encyclopedie/antiquite-l-antiquite-tardive/], (consulté le 18/11/2016).
[7] De Romioi en grec désignant les Romains de langue grecque. Ce mot dérive de Rhômaioi (en grec) et de Romanus (en latin) qui désignent tous les Romains.
[8] Le terme d'Empire byzantin ou de Byzantins ne seront pas utilisés car ils sont le fruit d'un néologisme du XVI° siècle visant à renier la légitimité romaine d'une Constantinople, désormais ottomane.
[9] D'où l'Antiquité romaine tardive.
[10] « Romanie byzantine », Encyclopædia Universalis, [en ligne], s.,d., [http://www.universalis.fr/encyclopedie/romanie-byzantine/], (consulté le 16/11/2016).
[11] « Dioclétien instaure la Tétrarchie », Hérodote, [en ligne], s.d., [https://www.herodote.net/1er_mars_293-evenement-2930301.php], (consulté le 16/11/2016).
[12] HOLSTEIN Antony, « Tétrarchie », Encyclopaedia Universalis, (en ligne), s.d., [http://www.universalis.fr/encyclopedie/tetrarchie/], (consulté le 12/12/2016).
[13] Ce qui sera l'objet du prochain article.